1ère Partie: Le début
A la fin du XIXe siècle soufflait un peu partout dans toute l’Europe du Nord un vent de renouveau romantique, le réveil de l’esprit des patries charnelles et du retour à la nature. La jeunesse de l’Allemagne de l’époque était particulièrement touchée par ce nouveau phénomène, appelant à un nouvel éveil spirituel. Plus qu’ailleurs en Europe, l’industrialisation et l’urbanisation associée, dévorant les espaces naturels, et détruisant les tissus communautaires ruraux, donc les cultures ancestrales, y furent traumatisantes. Un foisonnement d’idées nouvelles fit son apparition en réaction à des perspectives de plus en plus grises, moroses et enfermées dans l’artifice d’une vie entièrement vouée à la matière, dans les pollutions physiques et morales des mégalopoles et des centres marchands et industriels. Ces nouvelles idées avaient pour objectif d’y opposer une éthique de vie permettant de vivre décemment sur le long terme, sous la forme d’un ressourcement à la nature, aux valeurs naturelles. Protection de la nature et des animaux, réforme de la vie (vêtements de sport et de randonnée, végétarisme, aliments crus, jeun, naturisme, etc.), randonnées dans les campagnes, éducation au sport et à l’hygiène de vie pour ne citer que quelques exemples, c’est sur cette base que le mouvement de jeunesse – le Wandervogel (« Oiseau Migrateur » en français – pluriel Wandervögel) – a été fondé.
Du côté de l’État allemand, tout cela était toléré. Dans la société, certains y portaient un jugement critique, d’autres se montraient bienveillants. En dépit de la mentalité bourgeoise ambiante, en porte-à-faux avec l’esprit wandervogel, il régnait un optimisme libéral et vigoureux.
Les premiers Oiseaux Migrateurs étaient des lycéens qui s’étaient réunis près de Berlin autour du jeune professeur Herrmann Hoffmann et randonnaient ensemble dans les bois et à travers les villages, passaient la nuit dans des granges ou en plein air, et préparaient leur nourriture sur le feu de camp, chantant et jouant de la musique traditionnelle. Cette démarche était tellement révolutionnaire et attrayante par rapport à l’habituelle promenade du dimanche en costume de marin avec papa et maman, qu’elle a vite fait des émules chez les jeunes à travers toute l’Allemagne, tolérée et parfois promue par les parents bourgeois.
Au cours de leurs migrations, les jeunes sont entrés en contact avec la population rurale et ont appris à connaître les chansons, les danses, les costumes et les coutumes folkloriques des régions les plus diverses. Ils ont embrassé les beautés de la nature ainsi que la splendeur culturelle et la diversité de leur pays natal alors qu’ils en traversaient les villages et les petites villes.
En conséquence, le mouvement a rapidement absorbé de nombreux éléments artistiques, et développé son propre style « wandervogel ». La collection de chants traditionnels allemands la plus importante jusqu’à présent, le Zupfgeigenhansel, a été réunie par le Wandervogel Hans Breuer. Les dessins des lithographies des revues mensuelles wandervogels ont influencé toute une génération dans leur sensibilité esthétique et sont toujours utilisées de nos jours. Une bonne partie des danses folkloriques allemandes ont été sauvées de l’oubli grâce à l’oeuvre de transmission des Wandervögel.
En conjonction avec les autres mouvements de réforme de la vie déjà mentionnés, ce grand mouvement de jeunesse pris naissance et il a profondément affecté la société. Le mouvement de la musique pour la jeunesse, les auberges de jeunesse, la culture de la randonnée et des chants de randonnée, les écoles de réforme de la vie, les associations de danse et costumes folkloriques, les groupes de protection de la nature, les parcs naturels protégés, l’agriculture et l’alimentation biologiques, et bien plus encore ont émergé de l’action des Wandervögel. La plupart de ces créations ont continué jusque dans les années 1960.
Le rayonnement de la démarche wandervogel ne s’est pas limité aux frontières allemandes. En effet, dès le début, d’autres pays limitrophes (Suisses, Autriche) ont été touchés par le mouvement. Quant à elle, la Scandinavie a connu un phénomène très similaire sous la forme des Hautes Écoles Populaires (Folkehøjskoler) impulsées par le Danois Grundtvig dans la deuxième moitié du XIXe siècle, et qui connaît toujours ses prolongements actuellement, certes sous une forme édulcorée. De même la France et la Belgique ont été influencées par le mouvement de jeunesse allemand, leur inspirant par exemple leurs premiers groupes de randonneurs et auberges de jeunesse.